Peur et douleur

Il existe de nombreux mode d’entraînement aux arts martiaux, adaptés à différentes sortes d’élèves et à la variété des contextes d’application. Tout entraînement martial comporte des risques, et devrait être effrayant au commencement car il met l’étudiant dans une situation que les humains reconnaissent d’instinct ou d’expérience comme dangereuse (faire face, de près, à quelqu’un qui manipule rapidement des armes). Surmonter la peur peut être vu comme un bénéfice de l’entraînement, car cela permet de dépasser les instincts quand la situation le demande.

De même, la douleur fait malheureusement partie de l’entraînement, à partir du moment où des contacts ont lieu. Et même sans ! Tout mouvement athlétique expose à des risques d’accident.

Il y a cependant des méthodes d’apprentissage qui utilisent la peur comme aide pédagogique. La peur de la douleur, par exemple, peut servir de motivation à ne pas se faire toucher. On peut aussi utiliser du matériel peu sûr volontairement, en se disant que la peur de l’accident augmente le réalisme de la pratique et aide l’élève à se concentrer. Je ne suis pas personnellement en accord avec ces méthodes, et je ne voudrais pas m’entraîner dans ce genre d’environnement, pour des raisons que je vais développer ci-après. Mais je dois avant tout préciser que je considère des arts impliquant des armes blanches et pas d’armure ici; dans d’autres cas tel que la lutte ou le combat au bâton, certains de mes arguments ne s’appliqueraient pas.

Fear in I.33
La peur dans le manuscrit I.33, ou “Oh là, ça va faire mal ça !”

Pour commencer, je suis convaincu que l’entraînement devrait être sécurisé. J’admets que ce souci est moderne, et que si ma vie dépendait de ma pratique, j’accepterais probablement une prise de risque significativement plus grande, pour me rapprocher sensiblement du contexte d’application. Toutefois les AMHE ne sont qu’un passe-temps et une passion, et personne n’envisage sérieusement l’application des compétences historique dans leur contexte d’origine (j’espère !). Je veux sortir de l’entraînement sans blessures qui m’empêcheraient de travailler ou de profiter d’autres activités. Et je désire par-dessus tout éviter des blessures permanentes ou invalidantes.

La sécurité peut être atteinte par une variété de moyens. Elle peut être passive, en utilisant des protections et des armes modifiées (émoussées, souples, etc.), ou active, lorsque les participants contrôlent leurs actions en évitant les techniques dangereuses. D’ordinaire elle est les deux à la fois ; certains gestes sont toujours interdits, et dès lors que des contacts ont lieu, on ajoute souvent des protections sur les zones les plus sensibles. Quoiqu’il en soit, cela signifie que l’entraînement est fondamentalement différent du combat, puisque les participants devraient être convaincus qu’ils ne sont pas en danger. La sécurité implique que la peur n’est pas justifiée et devrait à la longue être gommée, donc ne peut pas être un outil pédagogique clé. Par exemple, le pincement au cœur que l’on éprouve lors d’une première utilisation d’une épée affûtée (que ce soit en solo, pour de la coupe, ou même pour un exercice à deux) devrait s’estomper et ne rend pas l’entraînement plus réaliste en soi. Ce genre d’entraînement repose lourdement sur des mesures actives de sécurité, ce qui est stressant pour les participants, mais cette peur de l’accident est fondamentalement différente de celle qu’on éprouverait face à des personnes cherchant activement à nous nuire. C’est une peur non réaliste, dans le sens où elle serait une considération mineure dans un combat.

Certaines méthodes sont construites pour induire la peur de se faire toucher par le truchement de la douleur, idéalement en restant sécurisées dans le sens que l’on évite les dégâts permanents. Pour certaines personnes, il semble que cette motivation concrète soit nécessaire à un certain stade du travail. Malheureusement, cela va de pair avec des distortions spécifique. Des protections sont nécessairement laissées aux endroits les plus sensibles : la tête, les articulations, les mains. Cela change le danger perçu des attaques. Les coups les plus douloureux, et donc les plus redoutables, sont alors ceux qui touchent le torse et les membres, et un estoc à la tête est relativement négligeable, alors que ce serait le contraire dans le contexte historique d’application (l’exemple pourrait être adapté aux nombreux contextes historiques d’application, aucun ne pouvant de toutes façons être complètement approché dans un environnement moderne). Cela peut également devenir un problème dans le cadre compétitif, si l’on tolère des attaques suffisamment violentes pour provoquer de la douleur malgré les protections et leur utilisation pour obtenir des réactions spécifiques chez l’adversaire. Ici encore, de grands coups, voire des entrées en lutte, peuvent être bien plus efficaces que des estocs bien portés sur les protections. Poussée à l’extrême, la situation pourrait finir par se rapprocher du combat au bâton. Elle sélectionne également les personnes avec une grande tolérance à la douleur, ce qui n’est pas forcément pertinent par rapport au scénario d’application : les dégâts causés par une arme tranchante ne sont pas de la même nature. L’étudiant de ces arts se doit d’avoir de l’imagination, dans le sens qu’il doit pouvoir imaginer les conséquences de ses actions et pas juste les ressentir. Il doit redouter le petit ‘poc’ sur la protection autant qu’une vraie blessure, en mettant de côté toute considération de douleur réelle. En tous cas, c’est ce que j’essaye personnellement de pratiquer.

Pour conclure, si je ne suis pas rationnellement convaincu que je suis en sécurité, je m’écarte, et si je le suis, je fais de mon mieux pour faire abstraction de la peur et de la douleur et imaginer les conséquences de mes actions. Je ne considère aucune de ces réactions instinctives comme des enseignants.

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